EN COMPLÉMENTARITÉ : LA RELIGION En moderato, l'ouverture de l'acte II du Lac des Cygnes de Tchaïkovski accompagne la série de gros plans cadrant les visages des moines pour cette version de «La dernière cène» que Xavier Beauvois a magistralement mise en scène dans Des hommes et des dieux (2010). Moment d'anthologie à l'impact foudroyant d'émotion et de vénération, ce passage achève le film dans une apothéose qui conclut tout ce que le réalisateur avait lentement préparé pour asséner la terrible fin suggérée par la blancheur de l'image hivernale où disparaissent les moines quand un texte précise leur sort : les 7 cisterciens ont été retrouvés morts le 21 mai 1996. Avec ce film, deux acteurs retrouvent un rôle d'ecclésiaste : Michael Lonsdale et Lambert Wilson. Après avoir été le prêtre dans Le procès (Orson Welles, 1962), le Cardinal Barberini dans Galiléo (Joseph Losey, 1975), l'Abbé dans Le nom de la rose (Jean-Jacques Annaud, 1986), le père inquisiteur Grégorio dans Les fantômes de Goya (Milos Forman, 2006), Michael Lonsdale devient Luc Dochier, frère et médecin, qui avait pris la place d'un père de famille pour aller dans un camp de prisonniers en Allemagne, qui fut enlevé par le FLN en 1959, était amicalement surnommé Toubib et avait écrit : «Je me dois aux autres. Comme le disait Édith Piaf, je ne regrette rien». De son personnage de 82 ans, malade du cœur et des poumons, Lonsdale déclare : «Il avait refusé d'être prêtre pour être disponible en tant que médecin, il recevait de 7 heures à 22 heures, voire jusqu'à minuit, avec parfois près de 150 consultations par jour ! Cela dépassait un peu la médecine quelquefois. Il était sage, on l'appréciait. Il était dans un vrai partage avec le peuple algérien. Frère Luc est mon plus beau rôle de religieux. C'était un être de bonté. C'est la première fois que je jouais un être pur».
Quant à Lambert Wilson, qui avait laissé un souvenir impérissable dans le rôle-titre de Hiver 54, l'Abbé Pierre (Denis Amar, 1989), il incarne , par un jeu poignant, d'autant plus imposant qu'il est subtil, Christian, le père prieur du monastère; les mots s'aligneraient afin de qualifier son interprétation pour laquelle il mise sur son expressivité silencieuse.
En pleine guerre civile algérienne, dans un village musulman, éloignés dans la montagne, réunis dans la seule trappe en milieu non chrétien, des moines catholiques se consacrent à leurs rituels religieux et à leurs actes charitables. Beauvois développe de lentes séquences pour transmettre le quotidien habituel fait de chants, de prières, d'études, de jardinage et d'accueil des malades. Dans une conscience de l'actualité internationale, les religieux maintiennent leurs convictions et leurs pratiques. Leur aide à la population témoigne du passage du temps incluant des relations, et non de l'isolement.
Beauvois a émaillé le scénario de scènes parfois anecdotiques, même cocasses, pour démontrer la convivialité entre les moines et les villageois : ainsi, quand leur auto est en panne, Frère Christian demande à un groupe de musulmanes : «L'une d'entre vous est-elle mécanicienne?», la voiture redémarrant et s'éloignant, les femmes saluent les moines avec de grands gestes. La présence frêle de Frère Amédée (Jacques Herlin) instille quelques moments d'humour surtout quand il se charge de masser les épaules d'un moine bouleversé, le soir de Noël 1993, par la tentative d'intrusion d'un groupe de terroristes.
Beauvois a privilégié la représentation des liens entre les moines et les villageois. Frère Christian écrit avec affection à propos des enfants de l'Islam «plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec lui ses enfants de l'Islam tels qu'il les voit, tout illuminés de la gloire du Christ» auquel il impute de «rétablir la ressemblance en jouant avec les différences».
Pour représenter la grande disponibilité de Frère Luc, Beauvois le montre avec Rabbia qui demande : «Toi, t'as déjà été amoureux? », il lui répond : «Oui, plusieurs fois, oui. Puis, après, il est arrivé un autre amour, tu vois, plus grand encore. Et voilà, j'ai répondu à cet amour-là. Ça fait longtemps maintenant. Plus de 60 ans» avant de poursuivre que l'Amour «C'est quelque chose en vous qui s'émeut. Une attirance. Un désir. C'est un état de fait. Du bonheur».
Mais, les deux communautés, qui se fréquentent, se demandent : «Qui tue qui?». Les musulmans sollicitent des moines de prier pour Samira, tuée dans un bus parce qu'elle circulait sans voile. L'un d'eux ajoute : «Les écolières qui font le scandale dans les écoles en France» avant d'être assuré par Frère Christian qu'au monastère on priera pour la jeune fille morte.
Dans un rythme calme, la tension soudain s'impose. Frère Christian refuse la protection militaire. «Et rien n'existe hormis l'Amour.» Des terroristes veulent envahir le monastère pendant que l'un d'eux crie «C'est toi le Pape?». Frère Christian cite le Coran et convainc Ali Fayattia de parler dehors quand Frère Luc mentionne : «Tous les jours nous soignons une centaine de nos frères musulmans».
Les moines discutent longuement parce que c'est le principe même de leur communauté : «Nous n'avons pas à chercher le martyre» «Mourir là, c'est vraiment utile?» «Ta vie, tu l'as déjà donnée». Des extraits du texte connu sous le nom de «Testament spirituel de Christian de Chergé» rédigé en 1993 et en 1994 sont cités, il achève son «A-Dieu» par les mots qui expriment sa volonté de dialogue : «Amen! Inch'Allah!»
Beauvois ne résout pas l'énigme de l'identité des tueurs quand il filme les 7 moines kidnappés qui marchent dans la neige avec les hommes armés. Scène solennelle progressivement établie alors que s'estompe toute présence humaine et que reste à l'écran la blancheur silencieuse de la forêt montagneuse.
En pleine rue, un jeune homme brandit une arme vers Umay, sa sœur, une Turque de 25 ans. Cette 1e image du film Die Fremde-When we leave (2010) de Feo Aladag est suivie d'un retour aux faits précurseurs. À Istambul, Umay vient d'avorter secrètement. Avec Cem, son fils, elle quitte son mari. À Berlin, elle retrouve sa famille à qui elle annonce sa dissidence. La liberté d'Umay suppose un prix inacceptable pour son père, sa mère, ses deux frères et sa sœur.
Bien que le film comporte des dialogues en allemand et en turc, Feo Aladag mise davantage sur le silence de ses images : celles du dos marqué d'Umay pour suggérer la brutalité de son mari, de son passeport qu'elle brûle pour représenter son intention de ne pas retourner en Turquie, de son baiser sur la main de son père pour transmettre son indéfectible amour envers sa famille et celle de son cri qui précède la même image reprise avec le son de ce hurlement maternel dans la finale du drame.
Feo Aladag témoigne de la progressive liberté méritée de son héroïne qui étudie, travaille et prend soin de Cem. Simultanément, la cinéaste montre la volonté d'Umay de rester en contact avec sa famille. Rien ne peut l'empêcher de réclamer leur acceptation et la continuation de leur relation; c'est la solide originalité du scénario , elle a quitté son mari mais, elle ne veut pas rompre avec sa famille, malgré toute l'intransigeance de celle-ci.
La force inusitée de ce film réside aussi dans la démonstration des tourments endurés par la famille blâmée pour son honneur bafoué. La sœur d'Umay est rejetée par son fiancé bien qu'elle soit enceinte de lui et le père doit payer pour que le mariage ait lieu. Les frères sont battus par des jeunes qui leur reprochent leur situation familiale. Lentement, la famille se résout à envisager le crime qui les sauvera de l'opprobre social. La réalisatrice, dans une largeur spectrale, sans privilégier un point de vue, a relaté la version de chaque personne impliquée; chacune est excédée.
Feo Aladag s'est longuement documentée sur les crimes d'honneur alors qu'elle participait à la campagne Violence against Women pour Amnesty International. Son film rappelle le sort de Hatun Sürücü, 23 ans, tuée de 3 balles par son frère alors qu'elle achevait sa formation d'électricienne après avoir quitté son mari. Mariée à 16 ans, elle avait eu un fils, Can. Ce meurtre, commis par son frère, à Berlin, en 2005, avait mis en évidence la réalité pérenne des mariages forcés et des crimes d'honneur EN COMPLÉMENTARITÉ : L'ADOLESCENCE Deux cinéastes ont abordé l'aspect sexuel de l'adolescence, l'une l'a transmis dans l'agréabilité de la découverte et l'autre l'a exprimé avec les affres de l'inéluctable.
Dans le court-métrage d'animation de 10 minutes La formation des nuages, Marie Hélène Turcotte, sans paroles, transmet avec délicatesse l'univers de transformations et de fantasmes d'une toute jeune fille. La culotte bleue de la gamine transparaît lorsqu'elle déambule, représentant la constance de sa nouvelle préoccupation, affirmant l'existence de cette réalité désormais manifeste en elle; elle joue, elle rêve, elle grandit dans son corps et dans sa tête. Son imagination autant que ses sensations l'amènent dans des joies désinvoltes et charmantes. Fraîcheur et légèreté émanent des représentations subtiles et exubérantes de Marie-Hélène Turcotte qui nous fait entrer dans le coté lumineux de la naissance du désir. «Après plusieurs courts métrages, c'est mon 2e long métrage. C'est un film sur un problème d'identité . Je ne critique pas la communauté, la religion. Dramatiquement, ce contexte religieux fonctionnait mieux. J'ai fait une recherche considérable avec ces pratiquants.» me disait Avishai Sivan, réalisateur du film Le vagabond, un chef d'œuvre (et je pèse mes mots) tant le cinéaste a maîtrisé le développement de la nuance éloquente.
En Israël, Isaac, adolescent, fils unique de parents orthodoxes, une ancienne policière et un homme qui fut accusé de «choses terribles [jamais précisées et dont] il a été innocenté», est tourmenté par une douleur d'être qui l'amène à vagabonder la nuit chargé du poids de sa confusion et de son désarroi , de son accablement et de son épouvante.
Avishai Sivan a rythmé son film avec génie grâce à la lenteur de l'élaboration du geste répétitif, la longueur du parcours du marcheur dérouté, le temps de réflexion du jeune angoissé et l'observation respectueuse des rituels des pratiquants. Le calme et le silence laissent empirer la tragédie redoutée qui aboutira inexorablement; la tempête infligera des ravages aussi moraux que physiques. (Le mot tragédie est utilisé selon l'étymologie grecque du terme; il s'agit donc d'une fatalité devant laquelle le héros se sent impuissant.) Le cinéaste décortique et explique le principe même de la gravité, avec ses causes et ses conséquences. Il communique la lourdeur pénible qui afflige l'adolescent contrit et désemparé alors qu'il éprouve des pulsions fondamentales, celles du désir certes mais aussi celles de la reproduction; thème généralement inexistant chez un personnage masculin, l'envie de la paternité pour un jeune a été traitée par Avishai Sivan.
La peine secrète d'Isaac est montrée alors qu'il pleure la tête penchée ou de dos. Son errance sur la rue, dans des parcs, le dissimule aux regards des autres la nuit. Son malheur l'amène au Mur des Lamentations où il implore en écrivant : «Créateurs de l'Univers, ne soyez pas en colère contre moi pour ce que mon père a fait».
Ses problèmes de santé concernent son intimité et sa fertilité : à l'hôpital, il doit être opéré à cause d'une veine autour d'un testicule. Sa première question a été relative à sa possibilité d'avoir des enfants. Il se responsabilise pour des camarades car il achète des condoms pour eux lorsqu'il se rend à Tel-Aviv mais se place lui-même dans des situations risquées en voulant baiser sans protection avec une prostituée; il est aussi poursuivi par un proxénète armé d'un couteau. Quand il demande à sa mère, pourquoi elle n'a pas eu d'autre enfant, il n'obtient pas de réponse.
Les symptômes de son mal-être se manifestent par des vomissements, des évanouissements. Il est désemparé par son corps : après avoir embrassé de force une jeune fille qui s'est sauvée, il se douche, il prend des vêtements dans une boîte de dons et les porte, il s'allonge sur la plage où roulent des rats morts. La misère et la violence en lui culminent jusqu'à l'ignominie : il commet un viol, va à la Police où on l'ignore parce qu'on se concentre sur un Arabe et retourne chez-lui. Le film s'achève par un plan rapproché qui le cadre de dos , à la porte, il pleure. EN COMPLÉMENTARITÉ : AUSchwitz La même carte apparaît dans deux films : Moi petite fille de 13 ans d'Élisabeth Coronel, Florence Gaillard, Arnaud de Mezamat et Le cœur d'Auschwitz de Carl Leblanc. Elle montre qu'Auschwitz, le camp de concentration sous les ordres des SS, rassemblait 3 sites : Auschwitz avec les baraquements, Birkenau avec les fours crématoires, et Monowitz avec les usines d'armement.
«Je n'ai jamais eu honte d'être revenue» affirme Simon Kadosch-Lagrange. Enfant à St-Fons en France elle a lu sur un mur : «Juifs tu mourat» (sic). Née d'une mère brodeuse avec des fils d'or , elle garde de son enfance heureuse un souvenir formateur qu'elle résume : «mon enfance, c'est la racine qui m'a fait pousser». Le 6 juin 1944 elle est arrêtée. Klaus Barbie l'interroge pendant 1 semaine en la giflant. Elle ne voit plus. Il faudra du temps pour qu'elle retrouve la vue. À Drancy, elle rencontre des enfants d'Izieu, Claudine et Mina. Puis, elle est envoyée au camp d'Auschwitz. Elle devient le numéro A8624 tatoué sur son bras. Elle a 13 ans. Et un sacré tempérament. Devant la chambre à gaz, elle refuse d'obéir, le commandant la fout à la porte; elle a échappé à la crémation.
Elle a vu Joseph Mengele qui tenait le bébé de Charlotte Zucker ayant accouché au camp. Devant la mère, il a laissé tomber l'enfant. Sa mère meurt à 36 ans. Son père est tué quand elle courrait vers lui
Quand elle reviendra en France avec Jacqueline, une amie, elle ira chez celle-ci, à Versailles. La voyant arriver, la concierge qui l'avait dénoncée a dit à Jacqueline : «Tu n'es pas morte?». Elle a retrouvé sa sœur, son frère et ils sont retournés à St-Fons. Avec son mari Robert, elle voulait avoir 6 enfants. Ils sont tous nés un dimanche en alternant 1 fille, 1 garçon.
«Est-ce qu'il a laissé les gens devenir de vieilles gens?» demande-t-elle à propos de Klaus Barbie. Pour elle, l'avantage du procès c'est que le public a pris conscience des atrocités. Quand elle a témoigné, son bourreau a plaisanté, l'a trouvée appétissante; elle considère qu'il l'a insultée. Lorsque les gens objectent que c'est du passé, elle rétorque : «Non, ça vit en moi».
D'autres souvenirs évoquent cette période et ce lieu mais l'un d'eux a des connotations plus belles car, parmi les témoignages d'horreur, il exprime l'inflorescence des sentiments humains : Le cœur d'Auschwitz. Petit livre cordiforme, ses pages se déplient 2 fois et forment 4 cœurs. Cet opuscule a été offert le 12 décembre 1944 à Fania Landau pour son anniversaire pendant son quart de nuit à l'usine de munitions. 12 compagnes ont signé des vœux, chacune dans sa langue; les textes se déclinent en hébreu, en français, en polonais.
Fabriqué par Zlatka, l'objet comporte deux sortes de fils, rouge et gris; il a nécessité de la colle, du papier, des ciseaux, du tissu. À Montréal, récemment, il a fallu une journée de travail à Catherine Gaumerd dans son atelier de reliure pour exécuter une copie du livre; elle a travaillé dans des conditions optimales. Il reste à imaginer ce que l'ouvrage a représenté pour des prisonnières démunies qui ont donc réalisé un miracle d'ingéniosité, d'amour, de survie. «Pourquoi risque-t-on sa vie pour offrir des vœux?» Comment dans cet enfer on a pu constituer quelque chose? Tout était risqué.» Carl Leblanc, impressionné par cet objet de lutte, a tenté d'en retrouver les signataires : «C'est peut-être la plus belle des destinations, des visages».
Cannes, Tel-Aviv, Paris, Washington, Buenos Aires. Il apprend que Hala avait écrit à son mari et qu'elle a été pendue. Son enquête est une mission. Au cours du film, au long du périple, les phrases du livret ressurgissent : «Nous sommes si jeunes et nous voulons des enfants» «Notre victoire ce sera de ne pas mourir» «Liberté liberté liberté» «Quand tu seras vieille, mets tes lunettes et lis mon nom». «Aurons-nous vraiment un avenir?»
Parmi les survivantes, Fela reconnaît sa signature apposée quand elle avait 15 ans. Helena, elle, ne veut pas parler. Fania a blotti le carnet sous son aisselle quand elle a fait la Marche de la mort après l'évacuation en 1945. Zlata est retrouvée à Rio et se souvient : «J'ai toujours aimé travailler avec mes mains».
De nouveau à Montréal, Carl Leblanc accompagne Fania dans une école; des enfants l'accueillent, l'écoutent et lui donnent un livret qu'ils ont fabriqué pour elle. Car elle n'a plus entre les mains, Le cœur d'Auschwitz, le petit livre est maintenant exposé au Musée de l'Holocauste de Montréal où il attire toujours l'attention avec le rose fané du tissu prélevé à l'uniforme de Zlata et le monogramme F; œuvre de groupe, geste de délicatesse, acte de résistance. EN SOUVENIR Alors que certaines se souviennent, d'autres, plus jeunes, participent à la préservation des témoignages qui rappellent les temps douloureux dont ceux de la 1e guerre mondiale.
Claude Cloutier, nous avait fait sourire avec la cocasserie de son Isabelle au bois dormant (2007) qui lui a valu 23 prix internationaux. Pour La tranchée (2010), il s'est intéressé à un sujet plus grave : la particularité de la Grande Guerre, 1914-1918, reconnue pour avoir été une guerre de tranchées, avec des combats au corps à corps, l'utilisation de baïonnettes; la mort était infligée dans la proximité. Alors, on ne tuait pas à distance, contrairement à aujourd'hui, ainsi que l'expliquait War made easy (Loretta Alper, Jeremy Earp, 2007). Claude Cloutier a élaboré son scénario dans un rapport à la terre : «La 1e guerre c'est une guerre qui s'est passée sous terre c'est-à-dire que les gens vivaient et mouraient dans la terre. Donc je voyais un beau symbole. J'ai essayé de garder dans le film cette idée de la relation à la terre. Je me sers de vieilles images de la 1e guerre mondiale que beaucoup de monde ont vues et revues. J'essaie de leur donner une 2e vie par un nouveau traitement. J'ai aussi fait un tournage d'un jeune soldat pour avoir des plans complémentaires, pour faire une histoire cohérente».
Dans la tranchée, un soldat se souvient de la terre qu'il labourait sur sa ferme. Des soldats meurent, une mouche, un rat, suggèrent qu'ils sont dévorés. D'autres se battent jusqu'à devenir squelettes. Le fermier est mort, il ne reverra plus sa ferme, il devient la terre qui le recouvre.
Claude Cloutier a élaboré son court métrage d'animation à partir de séquences d'archives reconnaissables; avec la technique de rotoscopie , il a retracé les images à l'encre de Chine. Il transforme tout en respectant, accentue, atténue, marque de son style les effets saisissants qui transmettent la rêverie impossible et l'affrontement fatal. Le DVD inclut une entrevue sur le processus créateur de Cloutier et sur celui responsable de la conception sonore, Olivier Calvert. Ce film confirme que depuis longtemps au Québec nous avons du talent en animation. De plus en plus, l'aura héroïque du soldat est remplacée par la réalité de l'être humain sacrifié. Nous ne représentons plus les soldats en faisant abstraction des effets de la guerre sur ceux qui y survivent. Et nous proclamons, ainsi que voulait l'exprimer Claude Cloutier dans son réquisitoire pacifiste, que «cette guerre sale d'il y a 100 ans, c'est aussi toutes celles qui sévissent aujourd'hui et abaissent les hommes et les femmes au rang de chair à canon».
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