Riches et célèbres. Dans Les yeux jaunes des crocodiles et Saint-Laurent, les personnages se caractérisent par leur accession à l'opulence et au vedettariat. EN ANALYSE Les yeux jaunes des crocodiles La blonde Isis, poseuse, joue la Reine, et sa sœur, Jo, rouquine, prostrée, est son esclave. Cette scène d'enfance à la plage annonce la relation qui perdure entre les deux à l'âge adulte. Le passé revient fréquemment éclairer le présent dans l'enchaînement des scènes du film Les yeux jaunes des crocodiles, réalisation de Cécile Telerman d'après le roman de Katherine Pancol. Julie Depardieu rappelle Maryline Caron, son personnage miséreux du film Possessions d'Éric Guirado (2012), en incarnant cette fois Jo, pour Joséphine, mariée à Antoine qui la trompe, la quitte pour s'occuper de crocodiles, une affaire foireuse en Afrique du Sud. Jo a deux filles. Elle a aussi sa mère, Henriette, qui la décrit en disant : «C'est déjà un miracle qu'elle se soit trouvée un mari alors qu'elle le garde...» Les scènes alternent principalement entre la cuisine de Jo qui calcule pour faire son budget, continue des recherches en Histoire du 12e siècle, tente de calmer sa fille Hortense, adolescente, réconforte Zoé, sa cadette, et le salon, la salle à dîner, d'Isis, mariée à Philippe, un avocat. Emmanuelle Béart est une Isis qui déambule dans le luxe et la désinvolture. Un soir, se sentant inférieure aux invités qui l'entourent, elle prétend écrire un roman historique sur une femme marchande au 12e siècle, idée qu'elle a volée à sa sœur. Aussitôt, tout Paris en parle et Serrurier, l'éditeur, lui fait signer un contrat. Alors, Isis propose à Jo : «Tu vas m'écrire ce livre. Je ne vais pas bien, Ça va pas bien avec Philippe. Tu as besoin d'argent. J'ai besoin de me sentir vivante.» Le livre intitulé Une si humble reine est un succès immédiat et croissant. Isis participe à des émissions de télé, est photographiée en première page. Le rapport entre les sœurs se reproduit : isis paraît, Jo se cache. Dans le roman de Katherine Pancol, le personnage d'Isis a des cheveux foncés. Dans le film, Isis est blonde. Sur un plateau de télé, l'animateur lui parle du personnage de son livre, cette femme du 12e siècle qui par conviction coupe sa longue chevelure, et lui demande jusqu'où elle-même pourrait aller. Dans le roman de Pancol, l'animateur coupe les cheveux noirs d'Isis; dans le film, Isis s'empare d'une paire de ciseaux et coupe ses cheveux blonds qu'elle va donner à l'animateur. Il faut souligner la beauté splendide d'Emmanuelle Béart, parure sublime dans un écrin de sophistication. Mais, simultanément, c'est toute l'artificialité du monde des riches et célèbres qui est révélée, l'édifice fallacieux des apparences et des magouilles qui est démontré. Philippe a compris le subterfuge. Peu à peu, Isis, grisée par l'intérêt qu'on lui manifeste, surenchérit dans l'exhibition. Autour des sœurs gravitent, la mère, dite Le cure-dent à cause de sa maigreur, le père qui est véritablement aimé de sa maîtresse enceinte de lui secrètement, la maîtresse d'Antoine, l'amie de Jo, l'amant de Jo, et l'érudition, la culture, l'instruction qui s'opposent au vide intellectuel, affectif, relationnel . Fille de Catherine Pancol, Charlotte de Champfleury a co-écrit le scénario avec la réalisatrice. Cécile Telerman a gardé un rythme soutenu, développé des personnages étoffés, proposé un reflet de cette fascination glauque basée sur l'image au détriment du sens qui caractérise les populations à travers la planète. Une réplique cristallise ce manque de valeurs essentielles : quand Isis se défend de sa supercherie auprès de Philippe son mari, elle prétend l'avoir fait «Pour que tu sois fier de moi». La phrase rétorquée par Philippe est éloquente; «Fier de ton indécence?» |