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Le playboy

Lise Brault  

Michel et Bernard étaient deux hommes dans la quarantaine qui s'étaient perdus de vue depuis leurs années à l'université, jusqu'au jour où un hasard les fit se rencontrer à nouveau alors que Michel et sa femme faisaient la queue à l'entrée d'un cinéma.

 Lorsque Michel lui avait présenté sa femme Louise, Bernard avait tôt fait de lui lancer des regards admiratifs pour montrer qu'il savait apprécier un beau spécimen quand il en voyait un.  Puis les deux hommes s'étaient salués et promis de se revoir, question de se raconter leurs souvenirs et parler du bon vieux temps.

 Michel était plutôt grand, avait une chevelure noire abondante et des sourcils en broussailles.  Il avait un emploi stable et menait une vie plutôt rangée alors que Bernard, de tempérament sanguin, était court et trapu, avait le teint naturellement rougeaud et une chevelure blonde qui, avec les années, était passée au jaune défraîchi.  Bien que dans la quarantaine avancée, ce dernier fréquentait toujours le jet-set avec une une ferveur d'autant plus acharnée qu'il sentait le poid des années alourdir sa silhouette, amincir sa chevelure et amoindrir ses chances de succès auprès des femmes.

 Les deux hommes n'avaient pas été de très grands copains mais Bernard, ce bon vivant, ne manquait jamais de sujets de conversation et Michel était toujours heureux de renouer avec de vieilles connaissances.  Ce dernier avait toutefois eu un drôle de pressentiment en acceptant l'invitation, peut-être parce que Bernard, dont il avait toujours secrètement envié la fougue et la désinvolture, allait sans doute lui en mettre plein la vue avec les récits de sa vie trépidente alors que lui-même menait une vie sage et comparativement peu mouvementée.

 C'est toutefois avec enthousiasme en ce moment qu'il s'en va le rejoindre au bar de l'hôteldu centre-ville où Bernard séjourne pour quelque temps.  En entrant dans le bar, Michel ne met pas long à repérer son compagnon : entouré comme toujours, Bernard fait rire la galerie et régale ses hôtes d'histoires abracadabrantes.  En apercevant Michel, toutefois, il se lève tout de go et s'amène à sa rencontre à bras ouverts.

 — Ah, voilà mon pote Mickey! s'exclame-t-il en l'accueillant à grandes accolades.

 Michel n'a jamais aimé ce surnom qui le fait grincer des dents, mais il fait mine de rien et serre la main de Bernard qui le présente à la troupe.

 — Voici mon ami des jours heureux, dit Bernard en s'assoyant tandis que les trois gars serrent la main de Michel à tour de rôle.

 — Alors, demande Bernard en lui tirant une chaise, dis-moi ce que tu deviens, hein, grand escogriffe?

 Mais sans attendre la réponse, il poursuit, pour les copains :

 — Ce Mickey est un sacré bonhomme, fait-il en poussant l'épaule de Michel en signe de camaraderie.  Michel n'est pas très bavard, dit-il, mais c'est une bolle.  Croyez-moi, les gars, une sacré bolle, que je vous dis.  Ce gars-là était tellement doué à l'université qu'il aurait pu en montrer aux profs.

 Flatté, Michel se contente de sourire tandis que Bernard poursuit :

 — Ah, qu'est-ce que j'aurais fait sans toi, hein, Mick, si je n'avais pu copier tes notes de cours, dit-il en souriant malicieusement.

 Michel n'apprécie guère cette révélation en public mais, bon joueur, il décide de tourner la chose à la blague :

 — Tel que je te connais, dit-il, tu te serais débrouillé pour acheter les profs si tu n'avais pu faire autrement.

 — Ha! Ha! sacré Mickey, fait Bernard en hochant la tête, pas très sûr s'il vient de recevoir un compliment ou une insulte.

 Et comme si Michel devinait son embarras, il s'empresse d'ajouter :

 — T'as toujours eu la bosse des affaires, hein Bernard?  Money talks and bullshit walks, disais-tu?

 Soulagé, Bernard sourit plus franchement et dit, pour le compte des copains :

 — Ce grand Mickey que vous voyez-là, c'est un homme marié, à présent.  T'es un homme rangé à présent, hein, Mick?

 — Eh oui, elle m'a passé la corde au cou, ironise Michel en mimant le geste du couperet.

 Les copains, pas très bavards jusqu'ici, y vont de quelques commentaires mais comprennent que la conversation va bientôt aux souvenirs et après quelques minutes d'attente polie, ils prétextent un rendez-vous et s'excusent auprès de leurs compagnons.

 — À demain, hein, les gars? fait Bernard qui les regarde partir à regret.

 Se tournant vers Michel avec des yeux qui témoignent d'un état d'ébriété déjà fort avancé, Bernard le scrute longuement comme s'il voulait lire le fond de sa pensée.

 — T'as vraiment pas changé, toi, Mick, dit-il enfin.  Toujours aussi peu bavard, toujours aussi secret, hein, p'tit v'limeux? fait-il en lui poussant la cuisse.

 Michel sourit simplement et dit :

 — Je n'ai pas à me plaindre.  J'ai un bon emploi chez Bell Canada, une femme qui m'aime et une petite fille de huit ans que j'adore.  Enfin, ce n'est pas le Pérou mais c'est ce que je voulais.  Et toi, que deviens-tu?  Es-tu marié?

 — Ha!  Tu veux rire?  Non, sérieusement, Mick, le mariage... trop peu pour moi.

 Puis il fait signe au barman d'apporter deux whiskys.

 — Oh, une simple bière pour moi, dit Michel.

 Bernard arque les sourcils comme s'il allait protester mais se retient et dit au barman :

 — T'as entendu, Willy?  Un whisky pour moi et une bière pour mon pote.  Oh, zut! fait-il l'air penaud tout en tâtant la poche de son veston.  Je crois que j'ai encore laissé mon porte-feuille à ma chambre d'hôtel.

 Michel s'empresse de payer la note et Bernard s'excuse, pour la forme, puis il poursuit :

 — Je fais dans les affaires, dit-il.  Je suis représentant de commerce.  Tu sais, j'ai peut-être pas complété mes études comme toi, mais t'as pas besoin d'un diplôme universitaire pour réussir en affaires.  La bosse des affaires, comme tu dis, on l'a ou on l'a pas, hein, Mick?  Et puis c'est pas pour me vanter, dit-il en allumant un cigare, mais je m'en tire assez bien.

 Puis il secoue l'allumette et exhale bruyamment dans un soupir de satisfaction tout en zieutant Michel à travers la boucane.  Il allait ranger son porte porte-cigares mais se ravise.

 — Tu veux un Havane?

 — Non, merci.

 — Ha!  Toujours pas de vices, hein, Mickey? dit-il en rangeant ses cigares.  Pas d'alcool, pas de nicotine, et je serais prêt à parier que tu ne consommes pas de fesse non plus, fait-il en souriant cyniquement.

 Michel sursaute intérieurement mais se contente de hocher la tête.

 — À propos, continue Bernard, ça ne t'ennuie pas, toi, de coucher toujours avec la même femme?

 Michel commence à trouver l'entretien franchement désagréable mais il décide de passer outre et s'en sort, une fois de plus, par un boniment.

 — Oh, tu sais, dit-il, c'était toi le playboy.  Moi j'étais plutôt sage de ce côté, si tu te souviens.

 — Le beau brummel mystérieux, hein? rigole Bernard dans un sourire plein de sous-entendus.  Sacré Mickey, va...

 Puis Bernard prend un air satisfait et ajoute :

 — Moi, vois-tu, le mariage, je suis pas fait pour ça.  Pour tout t'avouer, je peux pas faire plus d'un mois avec la même bonne femme sans qu'elle me tape sur le gros nerf.

 — Quel âge as-tu? demande Michel pour faire dévier la conversation.

 — J'ai quarante-sept ans et toutes mes dents, plein de foin en banque et pas de patron, répond Bernard.  C'est moi le boss, dit-il fièrement tout en se frottant l'abdomen où Michel aperçoit un bouton de chemise près de péter sous la pression.

 Puis Bernard penche la tête de côté et le scrute longuement de ses yeux injectés de sang.  Des yeux de porc, ne peut s'empêcher de penser Michel non sans un pincement au coeur en se remémorant le Bernard enjoué et désinvolte qu'il avait tant admiré jadis.

 — Tu sais, Mick, dit enfin Bernard, t'es un sacré bon gars et je suis sûr que tu arranges tes flûtes comme tu l'entends.  Mais, je me suis toujours demandé...  enfin, j'espère que tu ne le prendras pas mal...

 Michel redoute la suite mais le laisse continuer.

 — Je veux dire, peux-tu m'expliquer comment on fait pour aller travailler tous les jours de la semaine dans la même maudite boîte avec les mêmes maudites faces de canards sans s'écoeurer, puis rentrer dans la même criss de piaule pour aller retrouver la même bonne femme tous les soirs que l'bon yeu emmène?  Et ce, trois cent soixante-cinq jours par année?  Oh, ne vas pas croire que je méprise ton style de vie, s'empresse-t-il d'ajouter. Y'a plein de gars faits pour cette vie-là et ça vaut bien la mienne, je te l'accorde.  Mais moi, je pourrais tout simplement pas, Mick, tout simplement pas.

 — Mais il n'y a pas que des inconvénients, proteste mollement Michel en manipulant nerveusement son verre de bière.

 — Bien sûr, dit Bernard en hochant la tête, bien sûr...

 Et comme si Bernard cherchait quelque distraction, ses yeux vitreux font le tour du bar mais reviennent machinalement vers son compagnon et il se met à bailler.

 Décidément, pense Michel, ce n'était pas comme ça qu'il avait prévu les retrouvailles.

 — Alors, Bernard, dit-il pour égayer la conversation, as-tu revu d'autres copains de la fac dernièrement?

 Bernard approche sa grosse figure de celle de Michel qui recule instinctivement, et il demande, comme s'il n'avait pas entendu la question :

 — Dis, Mick, est-ce que t'as pas envie de prendre ton pied, des fois?  Je veux dire d'avoir du fun, quoi?

 Et avant que Michel ne réponde, Bernard recule, étire les bras et les croise derrière la tête.  Calé dans sa chaise, il ferme les yeux et ajoute dans un sourire nostalgique :

 — Ah, tu peux pas imaginer tout ce que j'ai vécu, tout ce que j'ai pu voir en quinze ans de voyages à travers le monde, mon pote.  Il y a de ces républiques de bananes où tu peux te payer les plus belles petites filles du monde, et pour presque rien, par-dessus le marché.  Pour des pinottes, que j'te dis.  T'en croirais pas tes yeux, Mick.  Ah, j'en bave encore rien qu'à y penser...

 Puis il rabaisse les bras et pousse Michel du coude en le regardant :

  — Allons donc, Mickey, toi qui vis avec la même femme depuis quinze ans, tu ne viendras pas me dire que ça ne te tente jamais de te payer la traite de temps à autre, hein?

 — Bof, dit Michel qui feint la nonchalance mais se retient à quatre mains de ne pas lui flanquer son poing à la figure en pensant à sa propre fille.

 Le jeu n'en vaut pas la chandelle, ajoute-t-il simplement.  Je veux dire, risquer de gâcher quinze ans de mariage pour une histoire de cul, tu sais...

 — Ho! Ho!  C'est pas ce que tu disais au collège, hein? rigole Bernard.

 Ne se départissant pas de son sourire, il regarde toutefois Michel malicieusement lorsqu'il enchaîne :

 — Et dire qu'au collège, c'est autour de toi que toutes les filles tournoyaient alors que moi, je devais les cuisiner savamment avant de pouvoir en clouer une seule dans mon lit.  Ha! Mais je t'assure que les choses ont bien changé, dit-il en agitant l'index.

 Agacé, Michel fixe sa bière mais Bernard, de plus en plus éméché, ne s'en rend pas compte et poursuit son monologue :

 — Mais, comme on dit, la nécessité est la mère de l'invention, hein, Mick?  Alors j'ai appris plein de trucs depuis le temps, mon p'tit Mickey.  Plein de trucs, fait-il pensivement.

 Puis il appuie les coudes sur la table et ses yeux hagards font le tour du bar une fois de plus.  Tout à coup, ils s'arrêtent sur une dame dans la trentaine en conversation avec deux hommes à quelques tables plus loin.

 — Tiens, dit-il, tu vois la grande blonde au chignon là-bas? Eh bien, combien gages-tu que je me la fais ce soir-même? ajoute-t-il en la fixant de ses yeux rougis.

 — Oh, je t'en prie Bernard, dit Michel, c'est pas nécessaire de me faire une démonstration.

 — Ouais, ronchonne Bernard que le nième double whisky rend franchement agressif.  T'as vu comme elle nous évite?  Je l'examine depuis tantôt et dès que tu la regardes, elle détourne la tête et prend de grands airs comme si on n'était pas assez high class pour elle.  Je connais son genre, la garce, marmonne-t-il entre ses dents.

 Michel constate le Havane oublié sur la table en train de noircir le vernis; et Bernard qui tient à peine sur sa chaise tant il est ivre.

 — Et pis je la sauterais qu'elle en redemanderait encore, renchérit Bernard.  À me demanderait pardon mon-oncle pis (hic!) pardon ma-tante...

 — Allons, Bernard, sois raisonnable, elle ne t'a même pas regardé, ma foi.

 Mais Bernard s'échauffe, parle de plus en plus fort, se lève et manque de tomber tandis que la dame commence à soupçonner qu'elle est l'objet de sa diatribe.

 — Arrête de gesticuler comme ça, le gronde Michel, tu vas attirer l'attention.

 — Attirer l'attention?  Moi?  Attirer l'attention??? clame Bernard à haute voix pour attirer l'attention en agitant les bras pour faire le clown.

 Au moment où il s'apprête à avancer vers la dame, Michel se lève et l'empoigne par le bras.  Sur un ton amical mais ferme, il dit :

 — Allons, ça suffit, Bernard.  Viens; on va sortir prendre l'air, hein?

 Bernard écarquille soudain les sourcils comme s'il venait d'avoir une révélation.

 — Prendre l'air? (hic!) Prendre l'air? répète-t-il d'une voix de contralto pour faire le pitre.  Mais la fête vient juste de commencer, Mickey! fait-il en reluquant la dame derrière lui tandis que Michel l'attire dans l'autre direction.

 Comme un gamin, Bernard prend un air buté et fait la moue mais se laisse conduire vers la sortie :

 — Je veux pas (hic!) aller prendre l'air, moi! proteste-t-il en passant la porte.

 Une fois dehors, Michel hésite.  Que faire, à présent?  Il ne peut certes pas abandonner Bernard tout seul ici dans cet état.  Il décide de l'amener jusqu'à sa voiture.

 — Allez, monte, dit-il.  Je vais t'emmener faire un tour chez moi.  T'aimerais ça voir où j'habite?

 Pour toute réponse, Bernard pousse un grognement et prend place sur le siège du passager tandis que Michel embraie et roule en direction de chez lui.  Les yeux fermés, affalé sur son siège, Bernard dodeline mollement de la tête à chaque cahot et demeure silencieux.  Après quelques minutes, il demande enfin :

 — Où c'est que t'habites, Mick?

 — Pointe-aux-Trembles.

 — Hmm, grogne Bernard qui se fout visiblement de la réponse.

 Quand Michel éteint les phares devant l'entrée de garage, Bernard rouvre les yeux.

 — Où c'est qu'on est? demande-t-il, l'air perdu.

 — On est chez moi.  C'est ici que j'habite.  Viens, suis-moi.

 Tant bien que mal, Bernard réussit à s'extirper de la voiture et suit son compagnon en chancelant jusqu'au seuil de la porte.  Michel le fait entrer et passer au salon où Louis, en peignoir, l'attendait patiemment.  Il est passé minuit et elle commençait à s'inquiéter car Michel sort rarement sans elle.  En l'apercevant, toutefois, Bernard bombe le torse, mime une espèce de salut militaire et marmonnonne d'un air solennel :

 — Mes hommages (hic!), m'dame.

 Et comme une poche, il se laisse choir sur le divan et cale son menton dans son cou en fermant les yeux comme pour s'assoupir.  Michel en profite pour prendre Louise à part et lui expliquer la situation.  Il dit qu'il essaiera de s'en défaire le plus tôt possible, dès qu'il sera quelque peu dégrisé.  Il suggère à Louise d'aller l'attendre à la chambre à coucher et tendrement, elle lui donne un baiser puis s'esquive.

 Lorsque Michel revient vers son invité, ce dernier rouvre les yeux et demande à boire mais Michel n'a que du café à lui offrir.  Bernard fait la moue et décline l'offre du revers de la main.

 Au bout de quelques minutes, notre playboy, qui s'ennuie mortellement, décide de lever le cap et se fait raccompagner vers la sortie.

 — Tu veux que je te conduise quelque part? offre Michel en lui ouvrant la porte.

 — Non, ça va, y'a sûrement un bus au coin de la rue, dit Bernard en passant le pas de la porte.

 Soudain, il se retourne, son visage s'anime et il demande :

 —Hé, Mickey, que dirais-tu d'aller faire un p'tit tour chez les sauteuses?  Rien que pour une heure ou deux, hein?

 — Non, fait Michel qui pousse imperceptiblement la porte.

 — Envoye donc, Mick, c'est samedi soir, sapristi! supplie Bernard en mettant le pied dans la porte.  Y'a ce club de danseuses au rez-de-chaussée de mon hôtel, Chez Mado.  Les p'tites filles n'attendent que la fermeture pour arrondir leur fin de mois.

 — Non, Bernard, pour la dernière fois, non.

 C'est alors que Bernard décide de vider son sac :

 — Cher p'tit Mickey à sa môman, dit-il en s'appuyant sur le cadre de porte pour ne pas perdre l'équilibre.

 Il sourit toujours, mais méchamment cette fois.

 — Sais-tu c'est quoi ton problème, toi, Mick? poursuit-il en enfonçant l'index dans les côtes de Michel.  Je vais te le dire, c'est quoi ton problème : t'as toujours été le chouchou de tout le monde.  T'as un diplôme universitaire, une job steady, un char, une maison, et t'es probablement hypothéqué jusqu'au cou et jusqu'à la fin de ta chienne de vie.  Et je sais que tu te penses plus smart que moé.  Oh, ne nie pas, je sais exactement ce que tu penses.  Mais tu mènes une vie tellement plate, Mickey, tellement plate.  Je sais vraiment pas comment un gars peut vivre de même et prétendre avoir des couilles.

 Ne contenant plus sa colère, Michel s'apprête à lui claquer la porte au nez lorsqu'au même instant, on entend en sourdine la voix de Louise qui appelle :

 — Michel, mon chou, tu viens te mettre au lit?

 Michel laisse planer l'écho dans le vestibule pendant un long moment sans rien dire et, triomphant, il regarde Bernard au fond des yeux.  Souriant le plus magnanimement possible, Michel incline la tête en direction de l'appel et chuchote enfin :

 — T'as entendu?  Eh bien ces mots, à mes oreilles, sont la plus belle chose au monde, ces mots qui m'appellent et que j'attends tous les soirs avec impatience.  Des mots qu'un gars comme toi, Bernard, ne comprendra ni n'entendra malheureusement jamais.

 Le sourire figé dans son rictus, Bernard hoche la tête et fait demi-tour.  Et sans se retourner, il lève un bras pathétique en guise d'adieu puis s'engouffre, solitaire, en titubant dans la nuit.