| Paginal était accoudé à son bureau, l'air pensif, la tête lourde, le vague à l'âme. Pâtissier du verbe, il pétrissait du noir. Il était envahi de dilemmes, submergé de doutes. Délaisserait-il la poésie pour la religion? L'inspiration l'avait quitté et ne reviendrait peut-être jamais. Hanté par l'obsession du créateur, possédé par un démon puissant, mais combien beau... Sans sa puissance créatrice, il était perdu. Le plus grand mal qu'on eut pu lui faire, c'était lui donner l'espoir fugitif d'une inspiration pour la lui retirer ensuite cruellement. La raison défaillante, dupé par son esprit, il sentait ses mains le rouler, ses idées s'enfuir, sa santé se dérober... Aussitôt une lumière jaillissait-elle que les ténèbres s'en emparaient. Seul contact avec le monde extérieur, sa soif d'écrire, de plus en plus difficile à étancher, lui brûlait l'âme et cette poésie qui réapparaissait pour se réfugier immédiatement derrière des voiles impénétrables ou dont les rideaux demeuraient clos, était le théâtre de son désespoir. L'aliénation s'intensifiait au fur et à mesure que s'égrenait le chapelet de la vie. Las de ne plus pouvoir communiquer avec Dieu ou de s'y substituer, il se laissa choir du haut de sa barque et s'enfonça lentement dans les eaux houleuses qui l'emportèrent vers ce monde qu'il chérissait tant. La poésie ne venant plus à lui, il avait décidé d'aller vers elle. Et du fond des eaux, dans un récital ultime, sa voix diaphane glaça la terre entière de sa dernière confiserie poétique. |