Le 22 novembre est une date importante dans l'histoire du transport en commun à Montréal, car c'est ce jour, en 1919, qu'était inauguré le premier service d'autobus à Montréal sur la rue St-Étienne, dite Bridge. Le nom officiel de cette rue était St-Étienne, mais c'est Bridge qui était d'usage populaire puisqu'en plus de traverser un quartier majoritairement anglophone, ce chemin était le principal accès au pont Victoria, d'où l'appellation qui signifie pont en anglais. Un passant sur l'actuelle rue Bridge peut difficilement imaginer à quoi pouvait ressembler le paysage urbain au début du siècle. Ces anciennes terres basses du sud-ouest de Montréal où les Amérindiens allaient chasser l'oie sauvage se transformèrent en zone urbaine à la fin du XIXe siècle. La construction du pont Victoria et de la ligne de chemin de fer transcontinentale, puis l'industrialisation, firent que la ville connût un essor fulgurant; le travail y était abondant. S'en suivirent un mouvement d'urbanisation qui durera jusqu'à nos jours ainsi que d'importantes vagues d'immigration. C'est ainsi que ce secteur de l'île de Montréal devint une terre d'accueil pour les immigrants irlandais fuyant un pays où sévissait la famine. Les quartiers Victoriatown et Griffintown étaient nés. Étant donné la proximité du canal de Lachine, ce secteur formait alors la plus importante concentration industrielle au Canada. Les alentours de la rue Bridge étaient parsemés d'industries et de maisons d'ouvriers. Le réseau de transport urbain était à cette époque exclusivement constitué de tramways et il n'était nullement question d'en changer. Toutefois, la desserte de la rue Bridge posait un problème : malgré la courte distance qu'elle couvrait, la rue était traversée d'une multitude de voie ferrées qui reliaient les industries du secteur au réseau national de chemin de fer. Jeter des rails sur la rue Bridge aurait occasionné des frais très importants à cause de tous ces croisements ferroviaires à installer, sans compter les discussions à mener avec les autorités des compagnies de chemin de fer pour obtenir les permissions nécessaires. L'autobus s'avéra alors un compromis acceptable. Toutefois, les dirigeants de la Montreal Tramways Company (MTC) désignaient ces véhicules du vocable de Trackless Tramways (tramways sans rails). Les deux premiers autobus achetés pour ce service, les numéros 50 et 51, n'étaient en fait que des camions White transformés en autobus dans les ateliers de la MTC. L'intérieur était très rudimentaire : deux banquettes latérales en rotin (les banquettes des tramways de l'époque étaient fabriquées du même matériau) quelques courroies pour les passagers debout et, bien sûr, les incontournables publicités! Ces autobus n'étaient pas du tout confortables; les usagers qui s'y faisaient brasser et qui y gelaient l'hiver les avaient surnommés les "chars à bancs". | | C'est un camion White converti qui fut le premier autobus à Montréal en 1919. | | | Un regard à l'intérieur démontre pourquoi les utilisateurs qualifiaient ces autobus de "chars à bancs". | | | | En 1921, deux autres autobus font leur entrée dans le paysage montréalais. Les numéros 60 et 61, des camions Réo aménagés en autobus ouverts (on les appelait 'Summer buses' [autobus d'été]) firent la navette par la rue Berri entre la rue Craig (aujourd'hui Saint-Antoine) et le quai Victoria où les usagers correspondaient au traversier pour l'île Sainte-Hélène et la Rive-Sud; c'était avant la construction du pont Du Havre (pont Jacques-Cartier) inauguré en 1929. | | Le Yellow Coach à l'extérieur en 1925 | | | et son aménagement intérieur | | | | La même année, et au cours des années suivantes, une autre marque de véhicule vient se joindre au nouveau réseau d'autobus, le Yellow Coach. Pas mois de 56 autobus de ce type rouleront à Montréal. L'intérieur des véhicules montre déjà une amélioration côté confort pour les usagers : les banquettes sont rembourrées et il y a du chauffage grâce à la chaleur dégagée par le moteur. Cependant, les administrateurs de la MTC conservent une attitude réservée face à cette montée de l'autobus. Dans le rapport annuel de l'entreprise en 1926 on peut lire : " Pour répondre à une demande de plus en plus générale du public, nous avons dû établir successivement dix lignes d'autobus. Le nombre des autobus en circulation a augmenté de 24 à 55 durant l'année et nous y ajouterons très prochainement dix voitures nouvelles à 33 places chacune. Pour abriter ce nouveau matériel et lui assurer l'entretien indispensable, nous avons dû agrandir considérablement le garage de Saint-Henri; nous pouvons maintenant loger là jusqu'à 85 voitures. L'administration croit cependant devoir vous faire observer que le service d'autobus n'est qu'une expérience, et qu'il vise uniquement à la commodité du public et à la décongestion des rues. " En 1927, l'expansion continue; non seulement la compagnie de tramways claironne-t -elle qu'elle a ajouté des lignes d'autobus à son réseau, mais elle annonce que pour la première fois l'autobus a remplacé le tramway sur une ligne. En effet, un croisement avec une ligne des chemins de fer nationaux et le canal de Lachine à franchir posaient un problème aux administrateurs de la MTC. Puisque des travaux d'élargissement de la chaussée étaient prévus sur la rue Guy la même année, on vit alors là l'occasion rêvée d'enlever l'infrastructure ferroviaire urbaine pour la remplacer par une desserte par autobus. Les livres de la compagnie parlent alors en ces termes du changement : "[...] il a amélioré les communications entre la Pointe S.-Charles et la haute ville et le public nous en a exprimé sa vive satisfaction." Ces essais de nouveaux véhicules ne s'avèrent pas tous heureux : à preuve, l'expérience du Monstre de la rue Atwater. Le 800, un autobus de marque Versare à moteur compound essence-électricité est un mastodonte. Sa longueur et son empattement font en sorte qu'il se manoeuvre très difficilement; il ne peut virer partout. Le Monstre de la rue Atwater en 1927 | Étant donné qu'à cette époque, les rues étroites étaient quasiment la norme, il en résulte qu'on ne peut assigner ce véhicule que sur une seule ligne, celle de la rue Atwater. Le monstre terminera sa carrière sept ans plus tard, se brisant en deux en pleine rue! En 1930, on essaie des véhicules d'un constructeur anglais : les Leyland. Les dirigeants de la compagnie de tramways disent à l'égard de ce modèle qu'il est très satisfaisant. On dit aussi que la concurrence qui existe maintenant entre les constructeurs d'autobus entraîne des avantages tant au point de vue du prix que de la qualité. D'autre part, cette même année marque l'amorce d'un intérêt pour un autre type de véhicule, le trolleybus. Le rapport annuel de 1930 dit : " L'expérience a démontré que l'autobus peut aider à résoudre bien des problèmes de transport, en particulier dans les banlieues encore au premier stage de leur développement. C'est pourquoi nous suivons attentivement toutes les innovations qui peuvent se produire dans le domaine de l'autobus et de la voiture auto-trolley. [...] Nous étudions de même soigneusement l'emploi des autos-trolley dans certaines conditions particulières. " | | Le Leyland de fabrication anglaise en 1930 | | | Son intérieur plutôt luxueux! | | | | En 1931, la compagnie juge à propos de faire le point sur l'évolution de sa division autobus. Le tableau suivant est extrait du rapport annuel de 1931. Le service d'autobus inauguré en 1925 pour aider et compléter le service des tramways a pris un tel développement qu'il a des ramifications dans toutes les parties de la Ville et dans quelques banlieues. On peut juger du développement de ce nouveau service en consultant l'état comparatif ci-dessous: Pour bien bien comprendre la position de l'autobus dans le transport urbain de l'époque , notons que pour l'année 1930 seulement, le total des voitures-milles pour la division tramways s'élevait à 29 305 545, tandis que celui des voyageurs payants transportés se chiffrait à 227 136 581. Année | Nombre d'autobus en service: | Autobus-milles | Voyageurs-payants transportés | 1925 | 28 | 287 694 | 1 026 630 | 1926 | 57 | 1 543 632 | 5 370 475 | 1927 | 76 | 2 868 886 | 10 728 326 | 1928 | 92 | 3 716 843 | 14 150 625 | 1929 | 101 | 4 163 085 | 16 424 948 | 1930 | 121 | 4 559 274 | 18 050 923 | 1931 | 155 | 5 565 794 | 20 682 580 | | La Crise économique qui sévit partout dans le monde pendant les années trente se reflète dans le carnet de commande d'autobus; la Montreal Tramways laissera s'écouler quelques années avant de faire d'autres acquisitions. D'autre part, au cours de l'été de 1934, une délégation de la compagnie ira en Angleterre pour y étudier les systèmes de transport en commun et les modes d'exploitation. Ils affirmeront à leur retour : "[...] les tramways à trolley restent à la base du transport des voyageurs dans les villes aussi importantes que Montréal, mais que les autobus électriques ou motorisés y jouent un rôle auxiliaire de première importance. " En 1935, les dirigeants de la Compagnie décident d'aller de l'avant avec l'expérimentation des trolleybus à Montréal par l'implantation qui en sera faite sur la rue Beaubien. L'année 1936 marque un autre recul pour le tramway; les voies ferrées sont retirées sur la rue Notre-Dame à l'est de la rue George V, ainsi que sur l'avenue Broadway à Montréal-Est. Cette partie du réseau sera remplacée par des lignes d'autobus. Le 29 mars 1937, le service de trolleybus est mis en service sur la rue Beaubien. Les sept véhicules qui constituent cette flotte de départ sont, aux dires de la Compagnie, les meilleurs du genre. À la fin de l'année, la Compagnie estime que ce service a donné entière satisfaction et que les frais d'opération ont été de l'ordre de ce qui était prévu, mais que l'on préfère poursuivre l'expérience avant de se prononcer davantage. | | Les autobus ACF-Brill en 1939 | | | Scène photographiée en 1943 montrant un des nouveaux trolleybus de fabrication anglaise en service sur la rue Beaubien. | | | | La première moitié des années quarante, la vie est au diapason de la Grande Guerre. Ce seront les plus fortes années d'achalandage pour les transport en commun à Montréal. Les lignes de tramways fonctionnent à pleine capacité pour amener les ouvriers (et les nouvelles ouvrières!) aux usines de guerre; c'est la grande corvée! Pendant ces mêmes années, l'achat de nouveaux véhicules s'avère difficile, tout est rationné. Étant donné que les commandes sont remplies au compte-goutte et dans le but que chaque région du pays y trouve son compte, le gouvernement fédéral nomme un régisseur de la circulation qui a pour tâche de répartir entre les villes canadiennes les nouveaux arrivages de véhicules de transport public. La situation sera telle que la Montreal Tramways se targue en 1941 d'avoir réussi à dénicher 11 tramways d'occasion mais en parfaite condition.  La vie en ville pendant la guerre. Scène photographiée sur la rue Atwater en 1943. Un autobus Mack, numéro 882 est à l'arrêt. Remarquez le tramway qui s'en va vers le sud au loin, les soldats qui attendent en file, le kiosque à journaux de fortune et les grands titres évocateurs du conflit mondial Les changements de vitesses se faisaient sans pédale d'embrayage sur les autobus Mack de la série 800. À cause de cette particularité, les autobus bondissaient au départ. Voilà pourquoi les chauffeurs de l'époque les appelaient "les kangourous"! | | Le 427 posé ici est un autobus de marque GM de 1944. On peut remarquer que sa " girouette " (l'indicateur de nom de ligne) affiche 89-Pte aux Trembles. | | | Un Fageol Twin Coach de 1946. Les rues de Montréal furent sillonnées par 35 autobus de ce type. | | | | Les années de prospérité qui suivirent l'après-guerre virent l'automobile individuelle s'imposer dans les rues de la ville. Les embouteillages devinrent monnaie courante. Les rapports annuels de la compagnie des tramways font état de frais additionnels importants occasionnés par cette nouvelle réalité. Parallèlement, sans toutefois l'avouer, les dirigeants de l'entreprise privilégient l'autobus; de plus en plus, on modifie les installations d'entretien des tramways pour les adapter aux autobus. Le 16 juin 1951, en vertu d'une loi votée en 1950 par l'Assemblée législative à Québec, la gestion de l'organisme de transport en commun passe aux mains du domaine public avec la création de la Commission de transport de Montréal. Dès son entrée en scène, la Commission élabore un plan pour substituer l'autobus au tramway sur l'ensemble de son réseau et entreprend des études pour l'implantation d'un système rapide de transport en commun. Le plan de substitution se réalisera tellement rapidement, que la consultation des rapports annuels de la Commission donne l'impression de lire un suspense! La substitution se fera en huit ans; le dernier tramway à circuler dans les rues de Montréal sera remisé au garage Mont-Royal le 30 août 1959. Les fils aériens feront partie de la réalité montréalaise pendant encore quelques années puisque les trolleybus seront maintenus en service sur certaines rues jusqu'en 1966, année d'inauguration du métro. À partir de 1966, l'autobus règnera dans les rues de Montréal . La Commission de transport vise aussi une normalisation de sa flotte. L'inventaire des véhicules hérités de la Montreal Tramways est trop varié. La Commission opte pour des véhicules de type Canadian-Car/Brill - moteur Brill et chassis construit par la Canadian-Car Foundry de Lachine - à propulsion diesel. Tout usager des transports publics des années cinquante à quatre-vingt se remémorera sans peine ces Brill de couleur brune avec liséré rouge ainsi que le ronronnement caractéristique de leur moteur. Dans ces autobus, une simple toile de coton séparait le chauffeur des passagers et en hiver, par grands froids, il était courant d'y voir le chauffeur, le manteau attaché jusqu'au cou, tenir le volant avec de gros gants. | | Un autobus Canadian-Car/Brill de la première série en 1947. On peut remarquer que ce véhicule, le 1001, porte l'identification de la MTC. | | | Encore un Canadian-Car/Brill mais cette fois arborant l'emblème de la Commission de transport de Montréal. Le 2720 a débuté sa carrière en 1952. | | | | | | Il devenait tellement urgent que les tramway cèdent la rue à l'automobile, qu'on n'attendait plus que les voies soient retirées. On pavait par-dessus! | | | Une scène du transport urbain (rue Jean-Talon coin Saint-Laurent?) en 1953. Des trolleybus de modèle récent se partagent la chausée avec des autobus et des automobiles. | | | | | | Entre deux vagues de Brill, on essaya les Mack. Ces derniers avec leur construction digne d'un char d'assaut affichaient un air sévère avec leur petit pare-brise. | | | Les derniers Canadian-Car/Brill achetés par la Commission de transport de Montréal en 1960 arboraient un air plus moderne. | | | | | Le Classic, l'autobus bien connu des Montréalais fit son arrivée au cours des années 80. | | | Le premier « New Look » en 1959. Le 2001,qui a fini ses jours comme véhicule-école, est à la retraite depuis longtemps. Par contre, des autobus de ce type - de fabrication plus récente il va sans dire - sont encore en service dans nos rues. | | | Le Novabus, qui fit son entrée dans le courant des années 90, représente un changement majeur par rapport à ses prédécesseurs. Il s'agit d'un autobus à plancher surbaissé. L'acquisition de ce type de véhicule a été privilégiée d'une part pour faciliter l'accès aux personnes plus agées, groupe en croissance, et d'autre part, afin de rendre un jour le transport en commun ordinaire accessible aux personnes en fauteuil roulant. Ce type d'autobus ne fut pas accueilli en grandes pompes; on lui reprochait bien des défauts. De plus, un épisode malheureux, début 1999, fit que l'on dut retirer tous ces autobus du service pendant deux semaines à cause d'un problème mécanique. Tout cela est maintenant du passé et des sondages récents auprès des usagers de ces autobus révèlent une augentation du niveau de satisfaction suite aux récents aménagements effectués dans ces véhicules. | | Bibliographie |